mars 2006

Roumanie : le Martisor en danger

Dans le simulacre de lutte entre le Dragobete (1) et la Saint Valentin, le perdant est le Martisor (2). Mme Sabina Ispas, directrice de l’Institut d’Ethnographie et Folklore " Constantin Brailoiu " de Bucarest nous explique pourquoi.

Le Dragobete a traditionnellement lieu le 24 février, mais on le fête parfois le 1er mars. Cette date est liée au passage de l’hiver vers le printemps, passage qui se fait graduellement. C’est la raison pour laquelle dans la culture traditionnelle roumaine on peut parler d’une préfiguration de cette période, dès le début février, un avant goût que l’on désigne sous le nom de " Gurbanul viilor " alors que le vrai passage entre les deux saisons se fait entre le 24 février et le 9 mars. On nomme également le Dragobete, le Cap du Printemps ou encore, plus poétiquement, Le Fiancé des Oiseaux. La légende veut que les oiseaux qui ne trouveraient pas leur partenaire au printemps, resteront seuls toute l’année.

En fait, les personnes qui essayent de garder vivantes les traditions, ont réactivé la légende du Dragobete, afin d’offrir une alternative à la Saint Valentin. C’est la raison pour laquelle le Dragobete a acquis la connotation de journée des amoureux, ce qui n’était pas sa vocation première. Il s’agissait à l’origine de la réconciliation entre l’élément féminin et l’élément masculin, avant l’arrivée du Jeune de Pâques, lequel reconnaît l’autorité féminine. Les femmes et les jeunes filles vont alors en forêt, cueillir des fleurs, ce qui représente un premier geste de sacrifice du végétal qui renaît, incarnant la force de la vie. Indifféremment du fait que les rencontres en forêt généraient parfois une certaine intimité, la fête garde un caractère solennel, et reste sous le signe de l’offrande des premières fleurs. Il s’agit de l’une des fêtes comportant le plus de délicatesse et sensibilité, et c’est probablement la raison pour laquelle elle a disparu. La société n’admettait plus son besoin de sensibilité.

D’où vient le nom de Dragobete ? " Drag " veut dire cher. Non pas dans le sens sensuel du mot, mais sentimental. Le suffixe " bete " donne une connotation d’autorité, de virilité, de masculinité dans le sens d’autorité. " Vrabete " est le nom donné au moineau mâle. Dans le sud du pays, on rencontre des noms propres comme " Marinete ", " Onete ", qui signifient : le grand. N’oublions pas que le 24 février est la Saint Jean Baptiste (Sfantul Ioan Botezatorul). La personnalité du Saint est synonyme de changement d’attitude, de réflexion sur le comportement individuel, notion qui revient à plusieurs reprises dans le calendrier en tant que passage d’une saison à une autre. On le retrouve au 12e jour de Noël, le 24 février et le 24 juin. La date du 24 février possède une signification première : le Saint s’est sacrifié pour dénoncer l’amour illégitime. C’est pour cela qu’il a été décapité.

Peu de temps après le Dragobete, vient " le cri sur le village " (strigarea peste sat), les feux de la Saint Jean, on met alors en avant les personnes qui sont restées seules, parce que dit-on, elle ont été paresseuses.

Le geste de la cueillette des fleurs doit été considéré comme le sacrifice des premiers fruits de la terre, en l’honneur du martyr décapité. Cette explication, plus proche de la mentalité roumaine, exclut tout érotisme, et s’éloigne nettement de celle de la Saint Valentin, festivité où l’aspect érotique domine le côté métaphorique ou esthétique.
C’est en Olténie, dans une partie de Valcea et de Mehedinti, que cette tradition est le mieux respectée.

L’évolution vers le modernisme, profite à l’adoption de la Saint Valentin, et notre pauvre " martisor " y perd son sens et son aura. [S.G.][archives LaRoumanieAujourd’hui]

(1) prononcer "dragobété"
(2) prononcer "martsichor"
Pendentif porte-bonheur spécifique qu’on offre le 1er mars aux personnes qu’on aime, généralement, à sa femme, ses filles, ses proches ou amies. Il est attaché par un fil blanc et rouge et représente souvent un trèfle à quatre feuilles, un fer à cheval ou autre symbole de chance. Ces dernières années il a tendance à revêtir des aspects divers. Il est souvent confectionné à l’aide de fleurs séchées.


Sur le même sujet, voir aussi :
 Le Martisor et le Jour de la femme
 1er mars, fête du "Martisor" en Roumanie


[Roumanie.com]

    e-mail     Imprimer cet article


VOIR AUSSI
1er mars, fête du "Martisor" en Roumanie
(1er/mar./2023)
Le " martisor " (nom populaire du mois de mars) est fêté en Roumanie le premier jour de mars, (...)
L'Opéra national de Roumanie à  Cluj a 100 ans
(20/mai./2020)
L’Opéra national de Roumanie à Cluj marquera le 100e anniversaire de son existence à travers (...)
La Roumanie et l'Europe de l'Est. 30 ans après la chute du mur. Débat.
(2/déc./2019)
30 ans après la chute du mur de Berlin, l’Institut français de Roumanie à Cluj-Napoca vous (...)
Une vie de roman : une Roumaine du XIXe siècle, exploratrice et Lady
(2/nov./2019)
Florica Maria Sas est née en1841 à Aiud, département d’Alba, en Roumanie. Elle est plus connue (...)
France"“Roumanie, regards croisés. Oubliez vos clichés
(17/avr./2019)
France"“Roumanie, regards croisés : Anda Bercu et Nicolas Friess â—¤"‰vernissage 18 avril à (...)
La Roumanie se sépare de son dernier roi
(16/déc./2017)
La Roumanie se sépare de son dernier souverain. Avec le passage à l’éternel, le roi Michel (...)
La mort du roi Michel, et la généalogie de la famille royale de Roumanie
(10/déc./2017)
Le roi Michel de Roumanie est décédé le 5 décembre 2017 à 13h00. Il avait 96 ans depuis le 25 (...)