septembre 2003

Le Delta du Danube, ou le dernier Paradis

par Jacky LEBAS

Au cours des 2800 km d’un cours tranquille de la Forêt-Noire à la Mer Noire, le Danube arrive en Roumanie aux "Portes de Fer".

Né des alluvions

Il sert de frontière au sud avec la Serbie et la Bulgarie, et termine sa course dans les plaines de la Dobrogée. Il ne sait plus trop où aller et s’étale en trois bras gigantesques : Sulina, Chilia, et Sfântu-Gheorghe. Il lui reste une centaine de kilomètres à parcourir avant de se jeter dans la mer.
Au cours des siècles, depuis 16 millénaires, il a entraîné terres et sables qui se sont accumulés pour former une terre nouvelle.

Labyrinthe liquide

Vasile est un vieux pêcheur qui me raconte qu’il nous faudrait plus d’un an pour sillonner tous ses canaux. Peu de bateaux à moteur parcourent ce labyrinthe liquide, sauf sur les trois bras importants qui remontent jusqu’à Tulcea. C’est en barque que se déplacent les pêcheurs dans un domaine encore secret et même sacré, car l’étranger doit montrer patte blanche auprès des services de la "Réserve de la Biosphère" de Tulcea, pour pénétrer dans ce qui est la plus fabuleuse réserve ornithologique du monde.

"Monument naturel"

Classé "monument naturel" au Patrimoine de l’Humanité, au même titre que la Forêt Amazonienne et la Grande Barrière de Corail, cet endroit est sérieusement protégé des médias et des braconniers locaux, ainsi que d’un tourisme trop envahissant. Seuls des personnages très importants de l’ancien système osent encore chasser, non sans protestations officielles et journa-listiques. Sur 5640 km carrés, le seul système de filtrage des eaux usées charriées par le Danube reste ce Delta. Alors prudence : une vaste augmentation de la population pendant l’été serait fatale à l’écosystème.

Les "polders" de Ceausescu

Nicoale Ceausescu avait décidé de combler certains canaux, d’assécher de vastes zones et de faire produire cette surface "inutile". Les protestations des scientifiques et des habitants furent étouffées. Une fois l’écosystème désorganisé, la production de poisson chuta dramatiqument sans que la fortune espérée des cultures soit au rendez-vous. La réelle richesse première était le caviar fourni par l’esturgeon, un rescapé de la préhistoire qui peut atteindre trois mètres pour le mâle. La femelle de dimension plus modeste était porteuse des oeufs rarissimes soit 15kg par animal. Encore faut-il que les frayères restent propres et en eau. Celles encore intactes sont bien gardées car la tentation a grandi avec ses temps difficiles.

Lipovènes

D’énormes brochets, sandres et silures alimentent la table au quotidien. Le fleuve nourrit les hommes, leur permet de se laver, de se désaltérer et d’habiter les petites bandes de terre sableuse où les pêcheurs se sont installés. Persécutés par le Tzar Pierre-le-Grand au 17ème siècle, des "vieux-croyants" sont venus de Russie pour trouver refuge ici auprès des autochtones grecs et roumains. De ce mélange sont nés les Lipovènes, grands, barbus, souvent la chevelure blanche et les yeux bleus. Ces hommes se dressent fièrement sur leurs barques, ils sillon-nent inlassablement les rivières en jetant les filets.
Une bouillabaisse, un verre de pà¤lincà¤, les plats ne sont pas variés dans le Delta et la viande rare. Quand les inondations ne détruisent pas les potagers, l’hiver se passe sans trop de dégâts. Mais quand le gel fige les canaux, il ne fait pas très chaud dans la maisonnette de terre chauffée aux roseaux, le bois étant ici un produit rare et convoité.

Une "Amazonie" qui saurait ce qu’est la neige...

Raison de plus pour protéger la fabuleuse forêt de Letea où prospèrent chênes séculaires et autres essences rares. Sept kilomètres carrés d’une curieuse végétation de marécages et de lianes : ce n’est pas l’Amazonie mais ça y ressemble. Lieu magique mystérieux, véritable paradis au bout de l’Europe, il faut traverser deux kilomètres de marécages à pied pour mériter cette vision insolite. Au détour d’un bras ombragé vous verrez s’envoler des centaines de cygnes, vous découvrirez l’ibis, l’aigrette, le héron cendré, le martin-pêcheur ou le grand pélican jalousé par le pêcheur qui n’aime guère partager le poisson. Deux cent quatre-vingt espèces forment cette faune ornithologique, certains oiseaux ne feront que de passer comme les cigognes mais la plupart des espèces sont sédentaires.

Pour y aller

En dehors de Tulcea, chef-lieu du département, les bourgades de Crisan, Sulina ou Sfântu-Gheorghe sont calmes, trop calmes pour les commerçants qui rêvent de bateaux chargés de touristes. Pourquoi aujourd’hui, la Roumanie ne connaît-elle pas encore un réel élan du tourisme ? Peut-être parce que le Français, le Belge ou l’Anglais restent désagréablement marqués par des habitudes des pays ex-communistes. C’est au Ministère roumain du Tourisme que revient la tâche de convaincre les hôteliers qu’aucun touriste n’acceptera de payer trois à quatre fois plus cher que chez lui des chambres d’hôtel moins confortables que chez lui. Cela est valable aussi pour d’autres structures d’accueil, il est dommage que l’on traite avec une telle rapacité un touriste qui arrive pour lapremière fois. Alors dans l’immédiat, un bon conseil : éviter les hôtels et loger chez l’habitant. C’est possible partout et vous améliorerez l’ordinaire de braves gens qui deviendront sûrement pour vous de nouveaux amis.
[Roumanie Magazine]

[Roumanie.com]

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