Présentation par Laure Hinckel, conseiller littéraire
Dans ce vaste champ d’essai qu’est le roman, toutes les formes de génie ont leur place. Les écrivains roumains ne font pas exception et déploient tous leurs talents : poètes qui racontent des histoires, penseurs qui jouent avec les mots, conteurs qui descendent dans
l’arène de la société.
Les douze auteurs invités par les Belles Etrangères nous invitent à aborder un continent quasi
inconnu du public francophone. Les tourbillons de l’Histoire et le désintérêt de certains nous
tiennent encore trop éloignés de la littérature roumaine. Le courage de quelques trop rares
éditeurs permet la découverte, mais beaucoup reste encore à faire. Ces Belles Etrangères
souhaitent faire connaître de nouveaux talents, tout en présentant des aînés confirmés.
Du côté des auteurs confirmés, l’extraordinaire Gabriela Adamesteanu, dans un esprit
classique renouvelé, donne à lire un grand roman social et familial, à la fois moderne et
audacieux : La Matinée perdue, que Gallimard publie en 2005. Ana Blandiana continue de
révéler, au travers d’un roman encore inédit, toute l’étendue et la profondeur de son
inspiration poétique. Le Tiroir aux applaudissements est un roman sur la création et sur le
pouvoir de l’auteur, sur la vie quotidienne dans la Roumanie ceausiste et sur l’expérience de la
rééducation psychiatrique. Mircea Cartarescu, écrivain confirmé au style flamboyant, est
connu du public français. Le théoricien du post-modernisme roumain offre, avec Orbitor, un
roman sur des mondes aveuglants, riches de symboles et aussi sur l’amour d’un enfant pour sa
mère dans une Bucarest hallucinatoire. Quant au romancier Gheorghe Craciun, la traduction
de son roman, Compositions aux parallèles inégales, a reçu le prix Caillé... Son roman Pupa russa, encore inédit, révèle un auteur qui se coule dans la peau d’une jeune femme aux multiples aventures amoureuses. Elevée dans l’atmosphère infecte d’un pensionnat, la jeune
Leontina s’adonne au sport de haut niveau dans la Roumanie des années 60 avant de gravir les
échelons de la hiérarchie communiste... Le fantaisiste Stefan Agopian écrit la condition
d’arménien qui est la sienne. Ses personnages s’appellent Melkon Zardarian, Orben, Aaron Juda
Hartman ou, étonnamment, Marion de l’Orme... et son roman inédit s’autorise toutes les
libertés de forme, confinant au collage poétique génial.
Les Belles Etrangères ne pouvaient oublier que la Roumanie est le pays des grands dramaturges
que furent Caragiale et Ionesco. Aujourd’hui, les scènes internationales portent des mises en
scènes roumaines dont les dramaturges livrent leur vision du monde. Vlad Zografi, dans Embrasse-moi, présente le monologue serré d’un malade universel.
Poètes reconnus, Marta Petreu et Ion Muresan ont des univers bien différents. Tendue comme
la corde d’un arc, la poésie de Marta Petreu cherche à s’échapper du corps, " hante la nuit la
neige haute ", et palpite, " comme un cerf-volant de papier/je suis prête à partir je suis prête
à voler "... Quant à Ion Muresan, il écrit une poésie d’inspiration païenne et colorée, emplie de
visions surréalistes où force et magie créent l’envoûtement. Le Poème-Godet en est un
remarquable exemple. Simona Popescu est reconnue comme poète. Elle est aussi romancière
et, dans son roman Exuvies (pas encore traduit en français), elle explore les mues du passé de
sa propre personnalité. Ce roman autobiographique est un véritable festival stylistique.
Du côté de la jeune génération - qui a vécu son enfance sous le communisme et qui,
aujourd’hui, écrit dans une société en mutation - Dan Lungu et Cecilia Stefanescu sont deux
romanciers très prometteurs. Dans Liaisons maladives, Cecilia Stefanescu se glisse dans la
peau d’un personnage déambulant à la frontière de mondes qui sont le reflet des distorsions de
la nouvelle société roumaine. Observateur plus froid mais diablement amusé et sachant manier
les ressorts du rire, Dan Lungu est un écrivain dont la plume ravageuse sait traquer avec talent
les contradictions de la société contemporaine. Dans son roman Le Paradis des Gallinacés, il
fait vivre les habitants d’une rue de Bucarest : à la charnière d’un monde communiste qui
passe à trépas et d’un monde médiatique et violent qui les absorbe. Letitia Ilea, poète plus connue aujourd’hui en France que dans son propre pays, donne au
quotidien sa plus intime musique : la solitude urbaine, les journées qui commencent à l’envers
comme le carbone de travers sur la machine à écrire...
Laure Hinckel
Belles Etrangères
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